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I
Le Spécialiste
14-10
11 juin 2014
www.lespecialiste.be
«A
u départ, on s'est lancés
comme des
boys-scouts»,
sourit Pascale Frère, spé-
cialiste en hématologie clinique et arti-
san du projet. Plusieurs éléments ont
servi de catalyseurs. Le fait, par exemple,
d'avoir entendu à un congrès les solu-
tions appliquées pour les greffés de
moelle dans des pays de grande super-
ficie, USA ou Scandinavie. Celui d'expé-
rimenter de l'intérieur cette évolution
qui veut que l'hôpital moderne, taraudé
par des impératifs de rentabilité, fasse
toujours plus vite, avec des séjours rabo-
tés, parfois au détriment de l'humain. Et
surtout celui d'avoir sondé les patients
du service et d'avoir senti que, pour des
questions de difficulté de transport et de
fatigue, ils auraient préféré être soignés
dans le confort de leurs pénates, loin des
couloirs anxiogènes d'un département
d'oncologie. Mais que, parallèlement, ils
craignaient de ne pas trouver chez les in-
firmiers extérieurs le savoir-faire de leurs
homologues spécialisés officiant à l'hôpi-
tal. «L'idée est venue d'accompagner nos
patients de A à Z, au-dedans comme au-
dehors
», retrace le Dr Frère.
Sécurité de prise en charge
Depuis un an, les infirmières du service
se rendent au domicile des patients qui y
sont suivis. Elles y assurent tous les trai-
tements et soins spécifiques habituel-
lement prodigués en milieu hospitalier,
mais qui peuvent l'être aussi dans leur
milieu de vie. Cela va de l'administration
de certaines chimiothérapies et autres
produits cytotoxiques à la perfusion
d'antibiotiques et/ou d'antimycosiques,
la manipulation des cathéters centraux,
les soins supportifs... Cette mobilité de
l'équipe soignante a contribué à com-
penser l'arrêt des transports bénévoles
de malades intervenu l'an dernier.
«Le dispositif permet également de rac-
courcir certains séjours hospitaliers. Après
avoir eu de la fièvre, un patient stable peut
ressortir en 48 heures, plutôt que de res-
ter 5 à 7 jours, avec administration d'anti-
biotiques et passage journalier de notre
infirmière pour surveiller son état.
» Les
infirmières du service d'oncologie dis-
posent d'une tablette et d'un GSM leur
permettant d'accéder au dossier du pa-
tient depuis le domicile de celui-ci et de
compléter le dossier infirmier, a minima,
à distance, avec les paramètres et leurs
observations. «Avec ce regard continu, on
sait comment le patient est entouré, ou
pas, par des proches, on réalise dans quel
environnement il vit.
»
Dialogue préalable
La plus-value qu'apporte la connaissance
du milieu de vie est un argument souvent
entendu dans la sphère de la médecine
générale. Le domicile est d'ailleurs, tradi-
tionnellement, le terrain d'action des in-
tervenants de 1
ère
ligne. Le service d'onco-
logie verviétois a toujours souligné vouloir
s'inscrire en complémentarité et aucune-
ment en rivalité. «Avant de démarrer», se
souvient Pascale Frère, «nous sommes allés
vers le Sisdef, pour présenter notre projet
et dialoguer [le Sisd de l'Est francophone,
regroupant les différents intervenants des
soins à domicile dans l'arrondissement de
Verviers].» D'après le Dr Frère, la grosse
majorité des interlocuteurs a accueilli
positivement le concept. Deux infirmiers
indépendants étaient certes sur la défen-
sive face à une initiative vécue comme
une concurrence. «Mais au final, ils étaient
demandeurs d'acquérir une compétence
dans les actes infirmiers spécifiques.
» Il
est vrai que l'oncologie est un domaine
à part, avec lequel certains soignants
ne se sentent pas à l'aise. «Les jeunes
généralistes, par exemple
, a observé la
spécialiste. Cela étant, de par la longueur
et l'intensité du suivi requis, nous autres
oncologues devenons en quelque sorte le
médecin traitant des patients cancéreux.
»
Johanne Mathy
MS8516F
L'oncologie
à domicile
séduit Verviers
Le service d'hémato-oncologie du CHR Peltzer-la Tourelle à
Verviers sort de ses murs. Depuis avril dernier, il va à ses ma-
lades plutôt que de les faire venir à lui. Le projet, baptisé Irina,
n'a rien d'une prise de possession impétueuse des territoires
normalement arpentés par les intervenants de 1
ère
ligne. Il se
veut complémentaire et constructif, dans une région où les dis-
tances ajoutent à la fatigue des patients.
Désengorgement
À un an, le dispositif lancé avec un maximum de bonne volonté et un
minimum de moyens semble avoir convaincu de part et d'autre. Sur le 1
er
semestre, 500 visites aux patients avaient été effectuées. «Un mi-temps
supplémentaire est dédié à Irina, financé via les consultations multidiscipli-
naires. Les moyens sont dégagés grâce au bon vouloir de la direction médicale.
On tarifie les visites comme des infirmières à domicile. Le seul supplément
qu'on met à charge du patient est un petit forfait d'un euro, un euro et demi,
pour le petit matériel ou les pansements nécessaires. L'un dans l'autre, on est
à l'équilibre
», expose Pascale Frère.
Le CHR, précise-t-elle, a relevé une corrélation entre le lancement d'Irina et
l'activité à l'hôpital de jour, où la facturation d'actes infirmiers a décru. Mais
en fait, ce qui, de prime abord, semble une mauvaise nouvelle pour l'établis-
sement peut être vu comme un désengorgement salutaire. «Le service étant
à saturation, on a pu remplacer les patients soignés chez eux par d'autres, sans
devoir construire une nouvelle aile. On souffrait aussi de ne savoir où caser les
personnes à hospitaliser. Ça va mieux à présent. On a,
in fine, une possibilité
de prendre en charge plus de patients dans de meilleures conditions.
»
Help line et permanence
Le Dr Frère se prend à imaginer des prolongements à Irina. Elle aspire tout
d'abord, à l'échelle des autorités de santé, à une réflexion globale sur ce
concept qui innove et restaure du lien social (*), pour le doter de moyens. Et
puis à une autre, à l'échelle du CHR Peltzer-la Tourelle, sur la création d'une
help line et d'une permanence en oncologie. L'idée serait, d'une part, d'offrir
un point de contact aux intervenants de 1
ère
ligne qui désirent un conseil pour
un patient cancéreux et, d'autre part, un point de chute hors heures ouvrables
pour les malades eux-mêmes, «court-circuitant» les urgences ­ dans le sens:
les soulageant. Un «dispensaire» ayant un même plateau technique per-
mettrait aux patients d'être plus rapidement et plus spécifiquement pris en
charge. Enfin, elle encourage l'approche multicentrique, par la fondation d'une
structure (asbl ou autre) enterrant les «guerres» institutionnelles en offrant
ces soins hémato-oncologiques au domicile pour tout patient, quelle que soit
son institution de départ (Verviers, CHU Sart-Tilman, etc.).
(*) Il s'est d'ailleurs vu créditer fin 2013 d'une «social grant» de la
Fondation contre le cancer.
VOTRE ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
Depuis un an, les infirmières du service se rendent au domicile des
patients. Elles y assurent tous les traitements et soins spécifiques
habituellement prodigués en milieu hospitalier, mais qui peuvent
l'être aussi dans leur milieu de vie.
La plus-value qu'apporte la connaissance du milieu
de vie est un argument souvent entendu dans la
sphère de la médecine générale.