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GUNAIKEIA
VOL 16 N°7
2011
232
Dans l'Egypte ancienne, Hatchepsout, pharaonne de la
XVIII
e
dynastie affligée d'un jeune époux maladif, était
bien décidée à tenir fermement elle-même les rênes de
son royaume. Pour faire oublier qu'elle était une femme
et asseoir son autorité, elle avait pris l'habitude, depuis
son plus jeune âge, de porter une barbe (
Figure 4); c'est
d'ailleurs avec cet attribut qu'on la représente sur nombre
de stèles thébaines. Il s'agit toutefois plus que probable-
ment d'un postiche stylisé fixé de façon artificielle afin
d'affirmer son autorité.
La reine assyrienne Sémiramis portait elle aussi la barbe,
à en croire Pagentecheri (2):
Barbata est etiam et sexum
mentita, cum post mortem mariti se pro uxore simulaverit
filium et pro femina masculeum, vide Justiniam ut hinc ob
hasce congruentias fit dubium quia Venus et quidam bar-
bata Venus sit ipsa Semiramis.
Enfin, Cicéron évoque la barbe du beau sexe dans son
De Legibus II... et une loi romaine du corpus des «Douze
Tables» interdit aux matrones qui ont du poil au menton
de se raser (3)!
L'église au serpent (Yilani Kilise), à Göreme, en Cappa-
doce (Turquie), possède une étonnante fresque où figure
un saint hors du commun: saint Onuphre, un transsexuel
canonisé au 4
e
siècle. Il ­ ou plutôt elle! ­ commença son
parcours comme une jolie prostituée, qui se convertit
après avoir entendu la voix du Seigneur. Lassée des sol-
licitations de ses anciens clients, elle supplia Dieu de la
rendre hideuse. Sa prière fut exaucée et elle fut transfor-
mée en transsexuel, conservant ses seins mais se trou-
vant soudain pourvue d'une barbe qui rebutait les clients
(
Figure 5). Saint Onuphre fut surtout vénéré au cours des
XV
e
et XVI
e
siècles.
Dans un manuscrit du XVI
e
siècle, rédigé par Jehan Vau-
quelin (4), qui traite des
Merveilles de l'Inde, on peut lire:
Mulieres ut ferunt, juxta montem Armeniae nascuntur
pellibus induta barbam usque ad mammas proxilam ha-
bentes; quaequi sibi venatrices sunt tigres et léopardos et
rapida ferarum genera pro canibus nutriunt
(On raconte
que, dans les montagnes d'Arménie, il est des femmes
vêtues de peaux de bêtes et dotées d'une barbe épaisse qui
tombe jusqu'à leur poitrine. Elles vivent de la chasse et,
au lieu de chiens, elles élèvent des tigres, des léopards et
toutes sortes d'animaux sauvages et rapides).
Même la période où connaissance et sagesse étaient l'apa-
nage de l'homme, du Moyen-Age au Siècle des Lumières,
a livré quelques légendes de saintes barbues. Parmi celles-
ci citons sainte Wilgeforte (ou Kümmernis), dont le nom
signifie «forte volonté» ou «vierge forte», du latin
virgo
fortis. La légende raconte que cette princesse portugaise,
fiancée contre son gré à un soupirant qui ne lui agréait
guère, exprima le souhait de devenir si laide que son futur
mari ne veuille plus l'épouser. Sa prière fut exaucée: elle
attrapa une barbe qui fit fuir son fiancé. Elle passa le reste
de son existence en dévotion et en prière, et mourut vierge
(
Figure 6). L'abbaye de Westminster possède une statue
de sainte Wilgeforte barbue.
Sainte Paule d'Espagne fut elle aussi délivrée des mains
d'un tyran; saint Laurent ayant entendu sa supplique,
elle fut rendue méconnaissable et couverte d'une toison
cachant sa nudité.
Figure 7: Détail d'un manuscrit du XV
e
siècle provenant de
la région du centre de la France. Sainte Marie l'Egyptienne,
drapée dans ses cheveux d'or, reçoit une flèche des mains
de Zozime lorsqu'elle commence sa vie d'ermite dans le
désert (British Library).
Figure 8: Femme à barbe filant (miniature tirée du
manuscrit Topographia Hibernia, Angleterre, début du XIII
e
siècle, British Library).