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GUNAIKEIA
VOL 16 N°7
2011
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Des histoires similaires circulent autour de plusieurs
saintes martyres, dont le corps aurait été soustrait à la
vue de leurs bourreaux par une chevelure les couvrant de
la tête aux pieds. Saint Paul n'écrivait-il pas qu'une longue
chevelure était un signe de chasteté, puisqu'elle était
conférée aux femmes pour leur servir de voile? «
La nature
elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte
pour l'homme de porter les cheveux longs, mais que c'est
une gloire pour la femme, parce que la chevelure lui a été
donnée comme voile
» (Cor. 1, 11, 14). De même, Marie-
Madeleine, la pécheresse convertie devenue disciple de
Jésus, est représentée avec une longue chevelure.
Au Moyen-Age, porter les cheveux longs était un privilège
réservé aux souverains et aux hommes libres, mais aussi
un signe de force vitale et d'une âme dédiée à Dieu.
Dans l'iconographie tant des Eglises orientales que de leurs
homologues romaine et anglicane, sainte Marie l'Egyp-
tienne (vers 344-vers 421) est représentée comme une
femme dotée d'une toison (dorée) surabondante. Conver-
tie au cours d'un pèlerinage à Jérusalem, celle qui avait
été des années durant prostituée à Alexandrie décide de se
retirer dans le désert et d'y mener en ermite une existence
d'ascète. Elle deviendra par la suite la sainte patronne des
pénitents, et sa chevelure surabondante est le signe d'une
vie dans la chasteté (
Figure 7).
Au début du XIII
e
siècle, Giraud de Barri décrit, dans une
scène de son Topographia Hibernia, une femme à barbe
qui fait partie de la suite du roi Limerich. Le fait que le
personnage soit représenté avec une quenouille, qui était
à l'époque un attribut typiquement féminin, confirme qu'il
s'agit bien d'une femme et non d'un homme atteint de
gynécomastie (
Figure 8).
Les mythes faisant intervenir des femmes abondamment
poilues proviennent majoritairement de la mythologie
païenne. L'homme ou la femme sauvages, velus de la tête
aux pieds, se retrouvaient surtout chez les populations des
Alpes; il s'agissait le plus souvent de personnages ambi-
valents, vivant dans la forêt. Généralement solitaires (
Ein-
zelgänger), ils incarnaient par excellence l'être non civilisé,
démoniaque, vivant dans le péché, incontrôlé et funeste.
Le loup-garou pourrait être une autre créature imaginaire
basée sur le phénomène de l'hypertrichose. Malveillantes,
les femmes sauvages sont assimilées à des sorcières, et
on les représente comme laides, grossières et velues. En
allemand on parle de «
der Busant». Leur pilosité caracté-
ristique est une métaphore de leur caractère mi-humain,
mi-animal; on en trouve une représentation sur une tapis-
serie strasbourgeoise de la fin du XV
e
siècle (
Figure 9).
L'époque baroque voit se généraliser les cabinets de curio-
sités et la femme à barbe devient, à l'instar du nain, une
source d'inspiration pour les arts plastiques. Elle est «une
merveille de la nature» et une preuve de l'inventivité de
cette dernière et de la création. Un exemple de cet en-
gouement pour l'hypertrichose est celui de la famille Gon-
zales, qui résida au château d'Ambras, dans le Tyrol (nous
y reviendrons dans le 2
e
volet de cet article).
L'hypertrichose et l'hirsutisme dans la
médecine et les sciences
Keil (5) a découvert, dans une traduction française des
écrits d'Hippocrate réalisée par Littré en 1949, une des-
cription clinique de deux patientes dont l'histoire évoque
un hirsutisme provoqué par un syndrome adrénogénital.
Dans la ville d'Abdera, une mère de famille fut
abandonnée par son époux. Après une longue
période d'aménorrhée, elle développa une rougeur
douloureuse au niveau des articulations et son
corps commença à se viriliser: la pilosité se déve-
loppa un peu partout, elle attrapa une barbe et sa
voix devint plus grave. Nous fîmes tout ce qui était
en notre pouvoir pour rétablir la menstruation,
mais en vain. Elle décéda peu de temps après.
Littré (6) a également relevé chez Hippocrate l'histoire
d'une femme de Thasos présentant une apparence mas-
culine et une aménorrhée persistante, résistant à tous les
traitements. Là aussi, l'histoire se termine par un décès
prématuré.
Ambroise Paré (1510-1590) a lui aussi observé cette dispa-
rition des règles associée à une virilisation (7):
D'avantage aucune femmes ayant perdu leurs
fleurs ou jamais n'ayants eu le cours d'icelles, dégé-
nèrent en nature virile et sont appelés hommasses
Figure 9: L''Histoire du Busant' met en scène une créature
mi-femme, mi-animal. Détail d'une tapisserie (fin du XV
e
siècle, Strasbourg).