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l
Neurone
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Vol 16
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N°9
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2011
l'examen neurologique et somatique était
sans particularité. L'IRM encéphalique
montrait des hyposignaux en séquence
T1, hypersignaux en séquence T2, juxta-
corticaux, périventriculaires confluents
sus-et sous-tentoriels. L'examen ophtal-
mologique était normal, hormis un al-
longement de la latence P100 à droite
aux potentiels évoqués visuels. Les exa-
mens biologiques ne montraient pas de
syndrome inflammatoire. Les sérologies
(TPHA, VDRL, HIV, Lyme, hépatite B et C)
étaient négatives. Le bilan immu-
nologique (anticorps antinucléaires, anti-
ADN natifs, anticardiolipides, p ANCA,
c ANCA, anti SSA et SSB) et l'étude du
liquide cérébrospinal étaient sans anomalie;
la recherche de bandes oligoclonales en
IgG dans le LCR était négative; la biopsie
des glandes salivaires montrait une siala-
dénite au stade 2. Le diagnostic de SEP
rémittente fut retenu selon les critères de
Poser et Mc Donald. L'EDSS était à 3. La
patiente reçut un bolus de méthylpred-
nisolone 1g par jour pendant 3 jours as-
sociée à 30mg de diazépam par jour à
visée sédative, avec amélioration des
signes neurologiques et psychiatriques.
Un traitement de fond à base d'interféron
bêta fut administré en association au
traitement thymorégulateur (valproate
de sodium 500mg/j). L'évolution était
favorable, sans poussée notable, après un
recul de 2 ans.
Discussion
Dans notre cas clinique, la comorbidité
SEP et trouble bipolaire de type I a été
évoquée en premier, mais c'est le diag-
nostic de SEP inaugurée par des épisodes
maniaques qui a été retenu. Le diagnostic
de poussée psychiatrique d'une SEP est
renforcé par les données de l'IRM
encéphalique, surtout la présence d'une
lésion prenant le contraste concomitante
à un événement maniaque isolé et la
réponse favorable aux bolus de corti-
coïdes, y compris des symptômes psychia-
triques qui se sont estompés, alors que
l'amélioration sous thymorégulateurs a
toujours été moindre. La revue de la litté-
rature montre que l'existence de troubles
psychiatriques au cours de la SEP est une
réalité, même si leur fréquence varie se-
lon les études. Dans une étude prospec-
tive contrôlée, cette fréquence était de
95% contre 16% pour le groupe témoin
sain; les symptômes relevés étaient: une
agitation (40% versus 0%), une irritabilité
(35% vs 8%), une euphorie (13% vs 0%),
une désinhibition (13% vs 0%), des hal-
lucinations (10% vs 0%) (5). Ces troubles
psychiatriques semblent survenir en moy-
enne un an après le diagnostic de SEP (6);
mais plus rarement, ils peuvent inaugurer
le tableau ou précéder les signes neu-
rologiques de plusieurs années, comme
c'était le cas de notre patiente (1). Blanc
et al. (4) ont rapporté 18 cas de SEP, dont
13 inaugurés par des symptômes psychia-
triques; ces premiers événements psy-
chiatriques étaient des épisodes ma-
niaques dans 5 cas. Dans une autre étude
(3), les mêmes auteurs ont rapporté quatre
vignettes cliniques de SEP diagnostiquées
à l'occasion de symptômes psychotiques,
l'une d'entre elles concernant un patient
qui présentait un épisode maniaque.
Chez ces patients, les «événements psy-
chiatriques» considérés, équivalant à des
événements neurologiques, ont participé
au diagnostic de SEP.
Les troubles psychotiques devraient-ils
être considérés comme des poussées
psychiatriques correspondant à des évé-
nements supplémentaires qui per-
mettraient de poser plus rapidement le
diagnostic de SEP? Cette hypothèse sem-
ble intéressante: la fréquence importante
des troubles psychotiques dans la SEP
par rapport à la population générale,
telle que l'a montrée l'étude épidémio-
logique canadienne (7), nous porte à
penser que les symptômes psychotiques
pourraient être considérés comme un
événement à part entière de SEP. Ainsi,
devant un épisode psychotique ou des
symptômes psychotiques associés à des
troubles thymiques, il convient de pen-
ser à une SEP, en particulier si des trou-
bles neurologiques ont été détectés anté-
rieurement. Sur le plan pathogénique,
l'explication de la survenue d'épisode
maniaque dans la SEP reste mal éluci-
dée; la déconnexion du cortex orbito-
frontal avec les structures sous-corticales
par atteinte de la substance blanche se-
rait à l'origine de l'exaltation de
l'humeur, de la logorrhée... De plus, une
susceptibilité génétique commune aux
deux affections a été évoquée (8). Sur le
plan thérapeutique, les troubles psychia-
triques dans la SEP sont traités comme
dans la population générale (9). Des bo-
lus de corticoïdes, administrés au cours
des poussées, permettent une rémission
des épisodes thymiques, comme dans le
cas de cette patiente, et le traitement de
fond par interféron réduit la fréquence et
la sévérité des accès maniaques (10).
Conclusion
Une poussée «psychiatrique» peut inau-
gurer une SEP ou apparaître au décours
de celle-ci. En considérant de telles pous-
sées, le diagnostic de SEP peut être posé
plus précocement. A travers un cas cli-
nique de SEP inaugurée par des épisodes
maniaques, nous soulevons la probléma-
tique du retard diagnostique important et
du traitement inadéquat qui en découle.
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