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l
Neurone
·
Vol 16
·
N°9
·
2011
Néanmoins, outre les déficits observés
au niveau des différentes fonctions co-
gnitives et neuropsychologiques, il est
important de mentionner que de nom-
breuses déficiences au niveau du traite-
ment des émotions ont été décrites chez
les sujets alcooliques. Il a ainsi par
exemple été constaté que l'alcoolisme
est associé à une fréquence plus élevée
de l'alexithymie (7), c'est-à-dire de la dif-
ficulté à identifier, distinguer et verbali-
ser ses états émotionnels, ainsi qu'à un
manque d'empathie (8). De même, les
patients alcooliques ont également des
difficultés à interpréter correctement les
expressions
faciales
émotionnelles
(9, 10), ainsi que la prosodie émotionnelle
(11, 12) et les postures émotionnelles
(13). Globalement, l'alcoolisme chro-
nique est lié à une surestimation de l'in-
tensité des émotions (quel que soit le ni-
veau réel d'intensité) et à une mauvaise
interprétation de ces émotions. Il semble
en outre que les sujets alcooliques ne se
rendent pas compte de ce déficit (14).
Etant donné que le décodage efficace
des émotions est une capacité cruciale
pour le développement et le maintien de
relations interpersonnelles satisfaisantes
(15), la perturbation de cette capacité
chez les sujets alcooliques pourrait avoir
des conséquences néfastes sur leur inté-
gration sociale (16), et mener ainsi à un
cercle vicieux: un déficit de décodage
des signaux émotionnels visuels et audi-
tifs, dû à l'alcoolisme, pourrait aggraver
les problèmes interpersonnels (17), ce
qui pourrait à son tour accroître la
consommation d'alcool utilisée comme
une stratégie de coping (14). Enfin, il
apparaît que ce déficit de reconnais-
sance émotionnelle n'est pas identique
pour toutes les valences émotionnelles:
alors que les émotions positives semblent
correctement traitées par les sujets
alcooliques, le déficit est surtout présent
pour les émotions négatives, et particu-
lièrement pour les stimuli de colère.
Cette déficience plus marquée pour la
colère (18, 19) a été mise en relation
avec la fréquence plus importante des
comportements délictueux et agressifs
dans l'alcoolisme (20, 21), ce qui montre
l'importance majeure de ce déficit
émotionnel dans le cadre de la pratique
clinique et thérapeutique.
Dans le même ordre d'idées, des re-
cherches utilisant des techniques d'ima-
gerie pour explorer les corrélats neuro-
anatomiques et neuro-fonctionnels des
déficits émotionnels observés décrivent,
chez les patients alcooliques, des altéra-
tions marquées dans la structure et l'acti-
vité des zones impliquées dans les traite-
ments émotionnels: cortex préfrontal
(22), cortex cingulaire, insula et amyg-
dale (23). De manière intéressante, l'am-
pleur de ces altérations semble corrélée
à un risque plus important de rechute
(24), ce qui montre l'importance d'une
gestion efficace des affects dans la per-
spective d'une abstinence prolongée. De
façon intéressante, il a récemment été
suggéré que des troubles d'activité de
l'amygdale pourraient être présents chez
des sujets non-alcooliques mais issus
d'une famille dont certains membres
sont alcooliques (25), ce qui amène à
l'hypothèse que les déficits émotionnels
pourraient précéder le développement
de l'alcoolisme chronique, voire pour-
raient être un des facteurs facilitant ce
développement, en lien avec le cercle
vicieux décrit ci-dessus. Cependant,
beaucoup de chemin reste à parcourir
pour clairement évaluer ces déficits
émotionnels et les moyens d'y remédier.
Il est donc désormais clairement établi
que les sujets alcooliques présentent des
déficits émotionnels marqués, déficits
qui ont une influence délétère sur les
relations interpersonnelles, et sont par
conséquent un des éléments majeurs de
l'isolement social souvent présent chez
les patients alcooliques.
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Remédier aux troubles de
gestion des affects apparaît
primordial pour la vie
quotidienne et les relations
sociales des patients.