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de la sérotonine, cette sensibilité
génétique à l'environnement fait ac-
tuellement l'objet d'études élaborées
de la part de l'équipe de Caspi de
l'Institute for Genome Sciences and
Policy à la Duke University (Durham).
L'objet de ces études est notamment
de pouvoir reproduire ces constata-
tions; deux récentes méta-analyses,
l'une négative, l'autre positive ne per-
mettant pas encore de tirer de con-
clusions définitives. Ce qui veut dire,
à mon avis, que si ce gène a une im-
portance, son influence est mineure.
Il y aurait donc d'autres
gènes impliqués?
Pr Stephan Claes:
Effectivement,
comme le laissent supposer plus-
ieurs études au cours desquelles un
stimulus stressant a pu activer cer-
tains gènes et favoriser le déclenche-
ment de troubles anxieux. C'est ainsi
que plusieurs équipes, dont la nôtre,
s'intéressent aux récepteurs aux glu-
cocorticoïdes dont l'altération des
gènes codant semble également être
un facteur important dans la genèse
de la dépression. Ces récepteurs sont
en effet très importants dans la régu-
lation du stress, un système sur lequel
le cortisol exerce un effet freinateur.
L'équipe londonienne menée par Pa-
riante est persuadée que la fonction
de ces récepteurs est altérée en cas
de dépression. Nous avons fait, avec
d'autres équipes, des études géné-
tiques sur ces récepteurs pour ten-
ter de déterminer les relations entre
polymorphisme pour ces récepteurs
et réponse au stress ou sensibilité à
la dépression. Parallèlement, il existe
également une recherche active sur
le polymorphisme du gène de la
COMT, plus étudiée dans le cadre de
la schizophrénie et des psychoses
mais qui pourrait jouer un rôle dans
la dépression. Il en va de même pour
un gène codant pour le BDNF. Cela
dit, quelle que soit l'importance de
ces facteurs génétiques, ce sont les
facteurs environnementaux qui sem-
blent jouer le rôle le plus important.
C'est-à-dire?
Pr Stephan Claes:
De nombreuses
études se sont penchées sur le rôle du
stress prénatal et le risque de dépres-
sion. Il en va de même des trauma-
tismes précoces. L'expérimentation
animale a en effet montré que des
facteurs stressants qui se produisent
durant certaines phases critiques
du développement cérébral peuvent
mener à une perturbation importante
de l'axe hypothalamo-hypophyso-
surrénalien et augmenter le risque
de dépression. Le stress chronique
et les situations agressantes ont le
même effet dépressogène.
Il n'y a donc actuellement pas de sens
à tenter de déterminer le profil géné-
tique des patients dépressifs, hormis
quelques situations très particulières
comme en présence d'un syndrome
crânio-facial marqué par une dysmor-
phie faciale et un retard mental.
Il n'y a par ailleurs encore aucune
preuve qu'un traitement médica-
menteux particulier agisse de manière
significativement différente selon le
polymorphisme que l'on trouverait.
Même si une une étude récente de la
Duke University a montré que les pa-
tients porteurs d'un variant du gène
codant pour la tryptophane hydroxy-
lase-2 se sont avérés être résistants
aux antidépresseurs de la classe des
inhibiteurs sélectifs de la recapture
de la sérotonine ou répondeurs à ces
médicaments uniquement à dose
élevées. Il y a donc encore beaucoup
de pain sur la planche avant de tirer
des conclusions thérapeutiques de la
génétique de la dépression, d'autant
que l'on sait que le chemin entre
déterminisme génétique et thérapeu-
tique adaptée est fort long, comme
le démontre par l'absurde l'exemple
de la maladie de Huntington dont on
connaît depuis longtemps le substrat
génétique sans pouvoir y associer de
traitement efficace.
Comment intégrer
actuellement ces données
dans notre pratique
quotidienne?
Pr Stephan Claes:
Il est connu
depuis longtemps que les membres
de la famille de patients qui souffrent
de dépression sont atteints eux aussi
de cette maladie dans une propor-
tion supérieure à celle de la popu-
lation en général. Il existe donc une
prédisposition génétique qui accroît
le risque de maladie. Mais cela sig-
nifie également simultanément que la
probabilité de rester en bonne santé
est très élevée (80­90%). Ce n'est
donc pas la maladie elle-même que
l'on `reçoit en héritage', mais le risque
accru de réagir aux contraintes par
une dépression. Le risque plus élevé
existe probablement dans la disposi-
tion accrue à réagir au déséquilibre
du système hormonal du stress et du
métabolisme nerveux. Le fait d'être
conscient de cette situation peut
cependant être mis à profit pour une
prévention précoce et active. Cette
prévention peut prendre la forme
d'un meilleur comportement face
au stress, comme de prendre des
pauses à temps ou avoir rapidement
recours à une aide thérapeutique
dans les situations difficiles. Voilà
pour aujourd'hui. Pour demain, nous
devrons encore attendre d'autres
études pharmacogénétiques avant de
pouvoir tirer des conclusions.
Des facteurs stressants
qui se produisent durant
certaines phases critiques
du développement cérébral
peuvent mener à une
perturbation importante de
l'axe hypothalamo-hypophyso-
surrénalien et augmenter le
risque de dépression.
Ce n'est pas la maladie
elle-même que l'on `reçoit en
héritage', mais le risque accru
de réagir aux contraintes par
une dépression.
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