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l
Neurone
·
Vol 16
·
N°9
·
2011
recommandations scientifiques parce
que nous devons sans cesse négocier
avec la personne qui est en face de
nous, et ce sont à chaque fois des négo-
ciations différentes d'un patient à un
autre
, explique Jean Laperche. Que ce
soit pour une entorse ou de petits pro-
blèmes de santé de la vie de tous les
jours, on utilise très peu les schémas
tels qu'ils existent dans les guidelines,
on doit parfois les adapter à la réalité de
chaque patient. L'empowerment signifie
en quelque sorte rendre du «pouvoir»
au patient sur sa santé ou l'aider à déve-
lopper les possibilités dont il dispose
pour mieux se prendre en charge lui-
même
».
Pas vraiment le choix
A entendre cet omnipraticien très impli-
qué en médecine préventive et dans la
relation patient-médecin, le médecin
n'a pas vraiment d'autre choix. «Si on
ne tient pas suffisamment compte de
l'avis du patient, d'une part il ne va pas
le suivre ce qu'on va lui proposer;
d'autre part, cela risque de ne pas
marcher non plus et il ira consulter
ailleurs...». Toutes les maladies chro-
niques, ajoute-t-il, demandent des
mesures comportementales, qui accom-
pagnent alors le traitement. «On est en
quelque sorte contraint presqu'en per-
manence à la négociation en médecine
car on est tout le temps dans le relation-
nel. Les patients occupent une place
importante et je crois qu'avec nous, les
médecins, ils la prennent beaucoup
plus que dans le passé. En ce qui nous
concerne, le «pouvoir», on l'a toujours
laissé aux patients
». S'il y voit un bien,
il juge aussi la démarche quelque peu
«insécurisante» car le médecin ne suit
pas toujours ce que l'Evidence Based
Medecine
lui recommande de faire.
Cela étant, négocier avec les gens per-
met souvent de rendre les relations plus
fortes entre les gens et leur médecin.
Pour autant, quelle part laisser au patient
dans la prise en charge de sa pathologie?
«Le nombre de patients âgés augmente
comme le nombre de pathologies chro-
niques, et ceux souffrant de plusieurs
pathologies complexes simultanément
aussi
, ajoute le Dr Laperche. Cette masse
de patients est de plus en plus grande.
C'est pourquoi la place du patient est
fondamentale: son rôle doit être de plus
en plus actif.
«Docteur, écoutez-moi...»
Quant aux outils pour amener le patient
au processus d'empowerment, ils sont
finalement assez basiques, insiste Jean
Laperche: «Il faut bien sûr d'abord
prendre le temps d'écouter les gens, ce
qui est absolument indispensable, et sur-
tout prendre en compte ce qu'ils nous
disent, c'est-à-dire entendre leur parole
et leurs mots, et en tenir compte. On ira
aussi voir ce que le spécialiste souhaite
ou même ce que, dans les recommanda-
tions pratiques, on aurait envie de faire.
Enfin, il est important de voir où se situe
la marge de manoeuvre, ce qui peut être
accepté par le patient et ce qui nous
paraît acceptable. En somme, l'outil
de base incontournable dans toute
cette approche comportementale, c'est
l'écoute et le partage, mais cela de-
mande du temps
. Toutefois, la charge de
travail qui est la nôtre limite forcément le
nombre de patients que nous pouvons
recevoir dans une journée
». Autrement
dit, l'empowerment ne peut se faire dans
des conditions de travail qui ne sont pas
idéales. «Il nous faut composer avec la
réalité de notre pratique.
Il semblerait que c'est finalement à partir
du moment où l'individu se sentirait me-
nacé dans ses intérêts que surgirait en lui
l'initiation du processus d'empower-
ment, en réponse à une prise de
conscience et au sentiment que son inté-
grité physique est menacée, ce qui lui
donnerait l'impulsion de vouloir mobili-
ser ses forces pour sa santé et contre la
maladie. L'empowerment serait ainsi ini-
tialement déterminé par la situation que
vit l'individu, plus que par les interven-
tions que l'on met en place pour lui et
qui serviraient essentiellement à accom-
pagner et renforcer le processus, in-
diquent les deux chercheurs de l'UCL.
Ceux-ci font encore remarquer que la
personnalité du patient, de même que le
type de pathologie ou le stade de la ma-
ladie sont des facteurs qui peuvent in-
fluencer tant la capacité que le désir du
patient à entrer dans un processus d'em-
powerment
. Tous les patients, en effet,
ne souhaitent pas systématiquement par-
ticiper aux décisions médicales. Il re-
vient dès lors aux soignants d'y être par-
ticulièrement attentifs pour ne pas les
«forcer» à prendre une autonomie déci-
sionnelle qu'ils ne souhaitent pas ou
dont ils ne se sentent pas capables.
Référence
Voir l'excellent Dossier technique 00-18 de l'Unité RESO-UCL,
Education pour la santé, Faculté de Médecine, Université Catho-
lique de Louvain, 2002.